
Il y a 16 ans, Lucien Willemin prenait une décision radicale : quitter ses activités lucratives pour se consacrer au Vivant. Depuis, il s’attèle à sensibiliser le grand public sur les réalités écologiques. Il est l’auteur de quatre livres et donne des conférences dans toute la Suisse romande. Quelques questions à celui qui croit à l’importance de l’intelligence du cœur.
Il y a 16 ans, alors que vous gagniez bien votre Vie, vous décidez de tout arrêter pour vous consacrer à la sensibilisation écologique. Que s’est-il passé ?
J’ai lâché l’ego et le cérébral pour redescendre dans le cœur. Depuis petit, j’ai cette sensibilité à la nature et la sensation qu’il n’y a rien de plus noble que de prendre soin de la Vie. Adulte, j’ai occupé des postes à responsabilités, dans le milieu bancaire puis horloger où j’étais directeur des achats. Lors de voyages d’affaires en Asie, j’ai visité ces usines où des milliers de personnes travaillaient, et j’ai compris ce que signifiait vraiment « fabriquer nos objets à l’autre bout de la planète ». J’ai alors quitté ce domaine pour créer une société immobilière. C’est là que j’ai découvert l’énergie grise, une révélation. C’est la pièce de puzzle qui me manquait pour voir l’entier de l’image, comprendre et élargir mon champ de vision.
Vous dites que pour se mettre en marche sur le chemin de la transition, il faut décider avec le cœur plutôt qu’avec le porte-monnaie, et se réapproprier la réflexion. Expliquez-nous ?
L’écologie, c’est prendre soin de la Vie : la vôtre, la mienne, celles de nos enfants. Se moquer d’un écologiste, c’est se moquer de quelqu’un qui tente de prendre soin de la Vie. On ne peut pas se dérober : nous sommes toutes et tous sur le même vaisseau intersidéral, la Terre. Nous avons donc avantage à adopter des gestes qui vont dans le sens de l’écologie. Pour cela, il faut sortir du mental, de l’intelligence froide, pour descendre dans le cœur. Écologie est un terme relativement conceptuel, alors que « prendre soin de la Vie » peut être ressenti intérieurement, et ça change beaucoup de chose. Cette compréhension est essentielle, elle éveille l’empathie pour le Vivant. Pour prendre vraiment soin de nos enfants, il s’agit de prendre soin du global, donc pratiquer l’écologie. Le reste n’est qu’illusion. La Vie se retire de notre planète. Le seul moyen d’inverser cette tendance, c’est de sortir de l’emballement, moins consommer et moins fabriquer. Pour y parvenir sans douleur, il s’agit d’opérer une croissance intérieure pour permettre une décroissance extérieure.
Vous êtes engagé depuis le début sur la question de l’énergie grise. Vous lui avez consacré un livre, donné des conférences sur la question, tenté de la faire rentrer en politique en suggérant une « consigne énergie-grise (CEG) », dont l’objectif était de favoriser la réparation de nos objets. Où en êtes-vous avec cette sensibilisation ?
Je vais être honnête : j’ai l’impression de radoter avec ce sujet de l’énergie grise, aussi important soit-il. J’en parle depuis bientôt 30 ans. Si les consciences s’éveillent sur cette « énergie cachée » nécessaire pour produire nos objets, elle reste absente des programmes politiques, centrés sur la baisse des émissions de CO2 à l’intérieur de nos frontières. Or, pour diminuer le CO2 chez nous, on génère de fortes pollutions chimiques ailleurs. Fabriquer un objet implique des filières chimiques qui rejettent des substances toxiques dans l’air, l’eau et les sols. Plus on fabrique, plus on rejette de substances toxiques pour la Vie, et plus un objet est complexe, plus la filière chimique est imposante. Prenons l’exemple de la voiture, que j’évoque dans le livre « Halte au gaspillage automobile ». Avec ses 180'000 composants en moyenne, sa fabrication mobilise des processus industriels très polluants. Et, contrairement au CO₂, ces dommages-là ne sont pas compensables à l’utilisation. Peu importe les kilomètres parcourus avec la même voiture, rien ne pourra restaurer les écosystèmes détruits ou la biodiversité empoisonnée à sa fabrication. C’est pourquoi il est crucial de prendre soin de nos objets et de les faire durer, plutôt que d’en changer régulièrement.
Quelles attitudes ou réflexions aident à ce changement du cœur dont vous parlez ?
Quand on comprend que l’écologie, c’est prendre soin de la Vie et que fabriquer un objet l’abîme, alors on saisit l’essentiel : en prenant soin de mes objets, je prends soin de nos Vies à toutes et à tous. Je prends conscience de la réelle valeur d’un objet, il devient alors précieux. Dès lors, je vais limiter mes achats, privilégier le seconde main, et réparer mes objets abîmés. Ce qui est chouette avec cette compréhension, c’est de réaliser qu’un réparateur prend soin de nos Vies. Ce métier est alors valorisé, et cela ouvre d’autres perspectives et appréciations professionnelles. Cette reconsidération est bonne et importante pour notre futur.
Commentaires 0