Pour rentabiliser l’énergie solaire, investissez dans… l’éolien ! Ce paradoxe souligne la complexité d’un mix électrique avec une part croissante d’énergies intermittentes. Depuis les années 2000, le prix des installations solaires a été divisé par 5, faisant du photovoltaïque l’une des énergies les moins chères à produire. Mais comment cela se traduit-il sur notre facture ? Peut-on vraiment croire qu’ajouter toujours plus d’énergie solaire bon marché réduira indéfiniment le coût de notre électricité ?
Au-delà du coût de production, orchestrer un mix électrique rentable
L'essentiel en 3 points :
Coût de production de l'électricité
Pour y répondre, observons en premier lieu le coût de production de l’énergie. Pour le calculer, il faut considérer l'investissement, les coûts d'exploitation, les « intrants » (par exemple le combustible), et la gestion en fin de vie (démantèlement, recyclage, dépollution). Le rapport très complet de Lazard détermine, pour chaque technologie, la répartition de ces différents postes de coût.
Pour le photovoltaïque, la dépense est essentiellement liée à l'investissement initial : ces installations sont relativement faciles à exploiter, se recyclent bien et ne nécessitent aucun combustible pour fonctionner. C’est le cas aussi des autres énergies renouvelables comme l’hydraulique ou l’éolien.
En revanche, les centrales thermiques, qu’elles soient renouvelables (bois) ou fossiles (charbon), nécessitent de produire et acheminer le combustible : l’exploitation et les intrants représentent alors une part plus importante de la dépense.
L’énergie nucléaire est encore un peu différente : avec un achat de combustible moins onéreux que le fossile, le coût des intrants est réduit, mais la gestion en fin de vie s’avère largement plus compliquée et coûteuse.
L'approvisionnement électrique, une cuisine élaborée
On peut observer dans le rapport de Lazard que les énergies renouvelables sont très compétitives et permettent de produire une énergie bon marché, ce qui est une excellente nouvelle. Mais faisons une analogie culinaire : pour déguster un bon gâteau, il faut des ingrédients de qualité, bien dosés, cuisinés avec soin, et une petite faim quand il sort du four. La farine seule, l’ingrédient le moins cher de la recette, ne suscite pas les papilles. Par analogie, l’approvisionnement électrique est constitué de sources de production, d’infrastructures de transport et distribution, et de postes de consommation, qui constituent une cuisine élaborée. Et comme pour la farine, un approvisionnement électrique 100% photovoltaïque ne serait pas vraiment réjouissant. Pas de lumière la nuit, pas de chauffage quand il fait mauvais. Bien sûr, cette situation n’est ni envisagée ni envisageable. Elle montre cependant qu’il est nécessaire de pallier l’intermittence pour se rapprocher ou atteindre le niveau de service que nous proposent aujourd’hui nos fournisseurs d’électricité.
La variabilité de la production solaire en est évidemment la cause principale. Heureusement, il est possible d’y remédier en déployant de nombreuses solutions complémentaires : diversifier le mix énergétique, stocker l’énergie, ajuster la production et les usages, et réduire nos consommations. Ces mesures, qui reposent sur la flexibilité, la sobriété et la complémentarité, permettent d’adapter un approvisionnement intermittent à nos besoins.
Une comptabilité complexe
Comme rien n’est gratuit, le coût de ces différentes mesures doit être comptabilisé lorsqu’on cherche à fournir une électricité la moins chère possible, et c’est là que les choses se compliquent. Pour garder l’analogie culinaire, comment imputer les coûts « du producteur à l’assiette » ? Le coût d’un stockage qui fonctionne pour le solaire, l’éolien, la régulation du réseau doit-il être réparti entre ses différents usages ? L’enclenchement de la centrale à gaz pour pallier des pointes hivernales fait-il partie du coût du solaire ? La stratégie allemande de déploiement massif des énergies renouvelables et d’arrêt du nucléaire a longtemps été (et est toujours) décriée pour son recours accru aux énergies fossiles, avec un résultat contrasté en termes de décarbonation. Ses détracteurs imputent les émissions du gaz au déploiement des renouvelables, et on pourrait faire une analyse similaire au niveau des coûts.
En réalité, le coût de production d’une technologie prise de manière isolée n’apporte donc que peu de réponses pour arbitrer les futurs investissements, et une approche systémique doit être privilégiée : ce qui importe, c’est le coût du mix électrique qui permet de remplir l’assiette, et c’est là que s’ouvre le grand terrain de jeu de la transition énergétique : calculer le bon dosage pour apporter aux consommateurs un approvisionnement fiable, décarboné, résilient et finalement bon marché.
Variabilité des prix : électricité et billets d’avion, même combat
L’approvisionnement électrique est soumis aux lois du marché, et celui-ci est particulièrement volatile. Vous avez pesté devant le prix exorbitant d’un billet d’avion à la dernière minute, ou vous êtes offusqué devant des vols à l’étranger pour moins de 30 CHF ? Pour les marchés de gros de l’électricité, où producteurs et fournisseurs s’échangent de grandes quantités d’énergie, le concept est poussé à l’extrême : le 30 août 2022, l’électricité s’est négociée à plus de 700 €/MWh sur le marché day ahead (la veille pour le lendemain). À l’inverse, en mai 2024, le prix (négatif) est descendu sous la barre de -140 CHF/MWh : en d’autres termes, les acteurs du marché étaient payés pour consommer les excédents. L’énergie d’ajustement, soit l’énergie échangée « en temps réel » pour équilibrer le réseau, est encore plus volatile que celle échangée sur le marché « day-ahead ».
Lorsque les prix sont négatifs, les gestionnaires de réseau, tenus légalement de reprendre les productions locales, se trouvent alors sous forte contrainte : ils disposent d’importants excédents qu’ils doivent réussir à écouler, faute de recevoir des pénalités importantes. La facture est d’autant plus douloureuse si ces excédents n’ont pas pu être anticipés.
Cannibalisation du photovoltaïque
Ce phénomène de prix négatifs, relativement récent et de plus en plus fréquent, est une conséquence directe de l’intermittence : lorsque toutes les conditions sont réunies pour des productions renouvelables élevées et que la consommation est faible, par exemple le week-end, il devient très difficile de valoriser la production. Inférieur à 30 heures par an jusqu’en 2019, le nombre d’heures de prix négatif était proche de 300 heures en 2024, et sera en forte augmentation les prochaines années. En d’autres termes, plus il y a de centrales photovoltaïques, plus il est difficile de valoriser leur production, car elles produisent à peu près toutes en même temps : on appelle ce phénomène cannibalisation. Pendant de nombreuses années, investir dans le photovoltaïque augmentait sa rentabilité. La technologie était peu mature et la croissance du marché permettait de faire des économies d’échelle et de la recherche pour diminuer les coûts. Aujourd’hui, la donne a changé : plus il y a de photovoltaïque, plus il est difficile de le rentabiliser : ce n’est plus le coût de production qui devient le premier critère pour investir, mais plutôt la recherche de débouchés pour donner de la valeur à cette production.
Continuer à investir, objectif prioritaire
Devant cette contrainte, le principal enjeu aujourd’hui est de continuer à investir dans l’énergie photovoltaïque, qui ne représentait pour 2024 que 10% de notre mix électrique, soit environ 3% de notre approvisionnement énergétique. Nous devons poursuivre la décarbonation de notre économie, et un fort taux de pénétration photovoltaïque est absolument indispensable pour atteindre nos objectifs. Cela nécessite une coopération accrue entre les différentes filières (gestionnaires de réseau, professionnels du solaire, investisseurs, etc.), et une montée en compétences de tous les acteurs. Le chemin est encore long, mais les solutions techniques et sociales existent : l’objectif est de minimiser leur coût. Les possibilités sont nombreuses, mais on peut retenir les principales :
- Diminuer volontairement la production lorsque celle-ci n’est pas nécessaire (ajustement d’injection) : cette solution est très peu coûteuse et très efficace pour limiter les prix négatifs,
- Diminuer notre consommation lorsque la production est insuffisante, en utilisant par exemple des incitations financières comme la tarification dynamique : l’énergie est alors moins chère lorsqu’elle est abondante,
- Électrifier nos usages flexibles (chaleur, mobilité, industrie) pour pouvoir déplacer au maximum la consommation vers les heures de forte production,
- Investir dans les batteries, qui permettent également une très bonne flexibilité à la journée et seront un composant majeur de notre système énergétique,
- Diversifier les énergies renouvelables afin de profiter de la complémentarité des profils et donc réduire les effets de l’intermittence : cette complémentarité est particulièrement efficace entre photovoltaïque et éolien.
Enfin, en Suisse, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées et des montagnes. L’impressionnante quantité de barrages qu’elles abritent est extrêmement précieuse. Il convient d’exploiter au mieux ces réservoirs géants d’électricité, en envoyant les signaux au marché pour permettre d’aligner la rentabilité pour l’exploitant avec l’intérêt commun.
Les environnements insulaires, des expériences grandeur nature
Les îles, souvent alimentées entièrement à partir de génératrices diesel, constituent une cible prioritaire pour la décarbonation. Elles peuvent également être une source d’expérimentation, car il est évidemment beaucoup plus rapide de passer à un système 100% renouvelable qu’à l’échelle de la Confédération ou du continent européen. Une étude établie par l’EPFL, le CSEM et Planair sur l’approvisionnement de l’île de Pâques démontre l’intérêt de diversifier les sources de production pour réduire les coûts. En partant d’un approvisionnement associant photovoltaïque et stockage par batterie, l’ajout d’un stockage hydrogène réduit de 30% les coûts. Une solution de pyrolyse (décomposition de matière organique) en complément de l’hydrogène permet de diviser par 2 l’investissement initial. Autre avantage, et non des moindres : dans les 3 cas, le mix énergétique reste moins cher que l’approvisionnement fossile actuel !

Frontiers, 550774 ; Cauz et al. Benefits of a diversified energy mix for islanded systems ; Le LCOE correspond au coût de production du mix énergétique
Conclusion
Ce n’est pas parce que l’énergie photovoltaïque est l’une des moins chères que cela doit obligatoirement se refléter sur le prix à la prise. Les mesures nécessaires pour valoriser l’énergie doivent également être considérées pour arbitrer entre les investissements. Plus qu’une analyse par technologie, il faut réfléchir de manière systémique : quelle est la combinaison optimale entre les différentes sources de production et de stockage pour décarboner notre économie à moindre coût ? La transformation de notre système électrique pour intégrer massivement les énergies renouvelables, photovoltaïque en tête, est indispensable et vertueuse : malgré les enjeux techniques associés, c’est aussi le pari le moins risqué financièrement si l’on sait trouver le bon dosage.
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